Jean HOLLENFELTZ - André LUCION


 

 

 


La nuit du 25 août 1944 à Arlon

 

 

Le soir du jeudi 24 août 1944, la ville d'Arlon s'endort, plongée dans la torpeur du couvre-feu imposé par l’occupant. Cela fait quatre ans que le drapeau à croix gammée fIotte sur la Knipchen, mais chacun sait que l'heure de la libération approche. Les événements se sont accélérés depuis la victoire en Normandie. Les armées alliées sont aux portes de Paris. Dans quelques jours, quelques semaines tout au plus, elles seront là et le cauchemar finira: les privations de liberté, le travail obligatoire en Allemagne, les arrestations et la torture par la Gestapo, les déportations vers les camps de la mort, l'internement des jeunes militaires belges dans les stalags et les ofIags, le rationnement...

 

Hélas, les événements vont prendre une tournure dramatique durant cette nuit. Vers 22h30, des bombes artisanales explosent devant les demeures de deux collaborateurs notoires au Marché-aux-Légumes et à la rue de Virton. Les dégâts sont peu importants, mais c'est la panique parmi les collaborateurs déjà fort inquiets sur leur sort futur. Les Allemands sont encore les maîtres à Arlon et ils vont le prouver. Vers minuit, une réunion de crise se tient à la Kommandantur (palais provincial). Tous les services sont représentés: Wehrmacht, Sipo-SD, Feldgendarmerie, etc. Le capitaine SS Boetcher est partisan d'exécutions immédiates d'otages sur la place Léopold. Mais les ordres de ses supérieurs sont plus modérés. Une liste d'otages est prête depuis plusieurs semaines. Dès 2 heures du matin, les arrestations débutent. Il règne une grande agitation en ville. Dans beaucoup de foyers où l'on dort avec la fenêtre ouverte en raison de la chaleur accablante, parvient le bruit cadencé des bottes allemandes. Soudain, c'est le silence et l'angoisse: à quelle porte va-t-on frapper ?

 

Par dizaines, des ArIonais sont arrêtés et conduits à l'hôtel du Nord (Feldgendarmerie) ou à la Kommandantur. Mais la Gestapo est décidée à liquider immédiatement plusieurs personnalités sur lesquelles pèsent des soupçons. À 3h45, le Dr HOLLENFELTZ, président provincial de la Croix-Rouge, est conduit au Marché-aux-Légumes, puis vers le bas de la rue des Capucins où il est abattu d'une rafale de mitraillette en présence du chef de la Sipo. Le malheureux docteur mourra quelques minutes plus tard, le jour même de ses 46 ans. Son corps sera exposé à la vue de tous jusqu'à 9 heures du matin. À 5h15, c'est au tour du procureur du Roi, André LUCION, d'être abattu derrière l'hôtel du Nord. Pendant quatre heures, il agonisera sur place sans qu'il soit permis de lui porter secours. Transporté à Luxembourg, il y succombera en début de soirée.

 

Pendant la journée, le drame se poursuit. Des otages sont arrêtés au hasard dans la rue et vont rejoindre les dizaines d'autres incarcérés à la prison. Le 30 août, vingt-neuf d'entre eux, juges, ouvriers, prêtres, enseignants... sont déportés en Allemagne. Le 10 septembre 1944, l’armée américaine fait son entrée à Arlon. C'est l'explosion de joie dans la population. Mais il faudra attendre plus de huit mois pour avoir des nouvelles des otages du 25 août. Seulement cinq d'entre eux rentreront vivants de captivité.

 

Source: Jean-Marie TRIFFAUX in "Vivre à Arlon", Bulletin communal d'information, n° 17, août 2004