Edmond ROSTAND
Frédéric PASSY


Edmond ROSTAND

La complainte de ceux qui vont combattre

 

10 mai
Voilà mille jours qu'on se bat.
Mille fois que le jour est né.
 
Mille fois qu'ils ont frissonné !
Les fins de nuit sont le moment
Du plus mauvais frissonnement.

Elle est allemande, la nuit.
Car, en s'enfuyant, elle nuit.
Elle jette un poison d'effroi
Dans le puits bleu du matin froid.

Le petit frisson auroral
Est le plus grand frisson moral.
L'Homme, à trois heures du matin,
Doute toujours de son destin.

Un cœur n'est plus rouge mais gris,
Quand l'Aube, entre ses doigts, l'a pris.
Doigts de rose ? parlons sans fard :
Elle a des pattes de cafard.

Quiconque a mal dormi le sait.
Mais pour eux songez ce que c'est,
Ce réveil avec ce frisson,
Et quand ils revoient ce qu'ils sont !

C'est l'heure où l'on sort de son trou
La bouche amère et le cœur mou.
Pour souffrir ce qu'on a souffert,
On remet son chapeau de fer.

Des hommes passent, lourds, pliés,
Et la route est sans peupliers.
 

Frédéric PASSY

Les deux moissons...

 

Moisson d'épis ou moisson d'hommes
Œuvre de vie, œuvre de mort,
Il faut choisir: fous que nous sommes.
C'est en nos mains qu'est notre sort.

Dans la paix, qui seule est féconde,
Mêlons les bras, mêlons les cœurs
Et guérissons enfin le monde
De la guerre et de ses fureurs